LE NUDGE, persuasion douce, communication invisible - Table Ronde du 5 octobre 2017
Définition : le nudge est un ensemble de techniques, fondées sur l’étude du comportement des gens (entendu comme un groupe de personnes représentant un échantillon neutre d'une population donnée), qui permettent de les inciter à adopter un comportement particulier, de les orienter vers le choix le plus raisonnable.
Voici quelques exemples et leur efficacité en chiffres et en images pour vous convaincre de la force des nudges.
A l'aéroport de Schipol, Amsterdam, cette mouche incite les hommes à viser au centre de l'urinoir. Résultat, les éclaboussures sont réduites de 80%, ce qui facilite le travail de nettoyage. La célèbre mouche est maintenant commercialisée par un entrepreneur qui la vend à l’échelle internationale.
Lake Shore Drive : sur cette route aux virages dangereux, les bandes se rapprochent, ce qui donne au conducteur l’impression qu’il accélère tandis qu'il se rapproche du virage. Il lève le pied d'instinct. Le nombre de décès sur cette route a considérablement réduit.
La campagne « Don’t Mess With Texas » est entièrement basée sur le nudge et fait suite aux échecs des précédentes campagnes d’information sur la pollution des routes. L’Etat a utilisé le patriotisme des Texans, qui jusque-là ne se souciaient pas des effets de leur manque de civisme, pour s’assurer que les routes resteraient propres. Le slogan est devenu très populaire, et les faits sont là : plus de 70% de déchets en moins, car les gens se sont mis à imiter les Dallas Cowboys (les joueurs de football américain dans la vidéo) et ont adopté cette valeur suggérée par la méthode douce.
Le marketing de ces escaliers nous fait culpabiliser, alors on prend les escaliers de manière consciente suite au rappel du visuel. Le nudge ne nous apprend rien ; il se contente de nous rappeler les choix qu’on a et auxquels on ne pense plus, en nous poussant gentiment vers la décision la plus souhaitable.
Ce visuel, plutôt que d’appeler à faire un choix conscient, attire de manière ludique vers les escaliers. On est tentés de les utiliser pour faire l’expérience de ce marketing inédit. Le nudge nous pousse à avoir le même comportement que dans l’image précédente, c’est-à-dire à choisir l’escalier plutôt que l’escalator, mais cette fois en faisant appel à notre inconscient.
Ce petit casse-tête attire l’attention sur la poubelle en proposant une rapide énigme que votre adversité s’attache à résoudre. Une fois le chemin à la poubelle trouvé, la sensation de satisfaction qui suit cette petite victoire remplace la flemme qui vous tenait peut-être de parcourir la distance qui vous séparait de la poubelle pour jeter ce que vous teniez en main.
Outre ces éléments marquants du paysage urbain, le nudge est utilisé par l’Etat dans la plupart des démarches que l’on attend des citoyens, par les communicants et les marketeurs dans leur communication et le développement de produits, et parfis même, à votre insu, par vos proches.
Le nudge nécessite parfois la mise en place de dispositifs, comme dans les exemples évoqués, mais des chose très simples peuvent aussi modifier le comportement des gens : la présence d’objets de bureau, attaché case, tables de conférence, rendent les gens plus compétitifs et moins amicaux. L’odeur de produit nettoyant incite à laisser un endroit plus propre (toilettes ou après un repas). Dans ces deux cas, les gens ne sont pas conscients de l’effet du signal sur leur comportement.
Pour tirer le meilleur parti des recherches sur le nudge, il faut partir du principe que les gens ne font pas toujours le meilleur choix pour eux. J’en veux pour preuve le fait qu’on ne peut pas s’empêcher de piocher dans un bol de cacahuète pendant un apéritif, alors qu’on sait très bien qu’on gagnerait à consommer moins de calories et à garder de la place pour le repas qui va venir. Ou encore le fait que bien souvent, on accepte les paramètres par défaut lors de l’installation d’un logiciel, sans chercher à savoir ce que ces paramètres décidés par les développeurs nous réservent.
Dans le cas des cacahuètes, à part rappeler aux convives le nombre de calories qu’ils ingèrent à chaque poignée, il est difficile d’inciter à en consommer moins. Ce serait d'ailleurs contraires aux règles de l'hospitalité qui veulent que l'on invite ses hôtes à faire "comme chez soi", c'est à dire à se comporter sans contrainte. Il faut parfois laisser les gens confrontés à leurs propres dilemmes, comme dans le cas des cacahuètes. Mais il existe de nombreuses occasions lors desquelles on peut orienter les gens vers des choix qu’ils ne regretteront pas.
Par exemple, si dans un self les desserts sont présentés avant les fruits ou à hauteur de regard, vous vous direz “super, c’est de la tarte au chocolat aujourd’hui” et vous le prendrez de manière machinale. Il y a de forte chance pour que si l’on présente les fruits de cette manière, et les desserts en dernier ou un peu en retrait, vous vous disiez en voyant les fruits “bon, aujourd’hui je prends un fruit, c’est meilleur pour moi”. La façon de présenter un choix s’appelle le framing. Manipulation de votre inconscient, ou petit coup de pouce ?
Celui qui intervient dans l’environnement des gens pour orienter leur comportement, c’est “l’architecte du choix” en sociologie. Il organise le contexte dans lequel les gens prennent une décision. Tout le monde peut être architecte du choix : celui qui organise la disposition d’un self ; le médecin qui indique à son patient les différents traitements auxquels il pourrait se soumettre face à une maladie ; le parent qui propose différents cursus universitaires à son adolescent… Ces acteurs sont en position de force pour influencer le choix vers l’option qui paraît la plus raisonnable. Même en proposant différents cursus d’études de manière neutre, la carrière de la personne qui parle, l’ordre dans lequel elle les propose, influence celui qui est face au choix. Il est donc impossible de présenter plusieurs options à une personne de manière neutre. Alors, pourquoi ne pas en profiter pour améliorer l’issue du choix ?
Les chercheurs en sociologie sont convaincus que, puisque les gens ne prennent pas toujours la bonne décision, par manque d’information, de réflexion ou inattention, il faut effectivement intervenir pour leur rappeler les choix qu’ils ont, et les pousser vers le bon. Par exemple, leur rappeler que faire la queue pour l’escalator n’est pas une fatalité, et qu’ils peuvent emprunter les escaliers, ce qui est de toute manière bon pour eux.
La science des choix est une discipline scientifique, née il y a plus de 40 ans. Elle affirme que de nombreux jugements et décisions sont pris de manière irrationnelle. Si les gens ont des comportements déplacés ou font des choix désastreux, et qu’il existe des moyens de prévenir ces erreurs, il faut les mettre en place de manière à inciter, sans forcer, à porter de l’attention aux choix auxquels on est confrontés. Car ce sont bien des choix qui influencent notre comportement : on chauffe dans nos appartements en hiver parce que c’est confortable, et en fin de mois quand on reçoit la facture, certains regrettent le choix de quelques degrés supplémentaires.
Voici une liste de quelques travers humains, exploitables pour mettre en place des nudges positifs (c’est-à-dire qui incitent à prendre la décision la plus rationnelle possible).
1. L’aspiration à l’inertie
Le journal Le Monde a mis en place un stratagème pour obtenir plus d’abonnés, en mettant en place un nudge qui utilise l’aspiration à l’inertie. Ils proposent aux étudiants un abonnement à 1€ pour 6 mois, réduction à laquelle de nombreuses personnes souscrivent, sûres de faire une bonne affaire. Le septième mois, les étudiants ont la surprise de se voir débités de quelques euros par Le Monde. En réalité, l’offre induit par défaut qu’au bout de 6 mois, l’offre se poursuit par l’abonnement normal si on ne fait pas l’effort de se désabonner. Il faut donc sortir de l’inertie, envoyer un courrier en recommandé, pour mettre fin à l’abonnement. En soi, on a le choix, mais les marketeurs du Monde savent très bien que beaucoup de personnes ne vont pas prendre la peine d’envoyer le courrier en recommandé. Résultat, Le Monde compte beaucoup plus d’adhérents à l’heure actuelle grâce à cette campagne, qui laisse pourtant le choix. On s’accordera à dire que ce nudge est non bienveillant.
2. L’option par défaut
On a vu que la plupart des gens vont conserver une option s’il faut faire un effort et sortir de l’inertie pour la modifier. En d’autres termes, ils choisissent l’option qui leur demande le moins d’effort. L’utilisation du nudge permet de se servir de cette tendance pour que l’option par défaut soit celle que l’organisation, l’Etat ou autre, souhaite voir adopter.
Par exemple, en France, on est maintenant donneur d’organe par défaut. Il faut faire une démarche pour signifier que l’on ne souhaite pas être donneur dans le cas où l’on serait victime d’un accident. Très peu de gens font la démarche et il y a une grande majorité de donneurs. Considérons maintenant l’option inverse : avant, il fallait faire une démarche active pour signifier que l’on souhaitait être donneur. Peu de gens faisaient la démarche (évidemment). Résultat, il y avait une minorité de donneurs. Pourtant, les gens sont globalement satisfaits de la situation, sans qu’on leur force pas la main. Par ailleurs, on donne toujours le choix, on n’oblige à rien, mais on incite. La plupart des gens tombent sous le coup de l’option par défaut ; celle-ci devient donc capitale en ce qu’elle détermine le comportement de milliers d’individus.
3. La disponibilité de l’information
Autre penchant qui peut être utilisé par un nudge : la disponibilité d’une information dans la mémoire ou le ressenti d’une personne. Si une personne connait quelqu’un qui a subi une inondation, cette personne prendra à plus forte probabilité une assurance inondation : le risque lui paraît plus présent qu’à celui qui n’en a qu’entendu parler à la télé. Du coup, son évaluation du risque est biaisée, c’est une mauvaise évaluation. Cela peut avoir une conséquence directe sur la politique des gouvernements, qui allouent souvent les budgets de manière à rassurer la population ou en fonction de ses attentes. La méthode douce dans ce cas consiste simplement à réorienter les jugements sur les événements à risque : il suffit de mieux informer, pour en quelque sorte contrebalancer le nudge naturel qui se met en place.
4. La peur du risque
Cette tendance est facile à expliquer avec l’exemple d’une campagne pour économiser l’électricité. Il y a deux façons de présenter une information de manière à inciter un comportement économe : « si vous employez des méthodes d’économie d’énergie, vous économiserez 350€ par an. » et « si vous n’employez pas de méthode d’économie d’énergie, vous perdrez 350€ par an. »
Quelle phrase est la plus incitative ? Ce nudge est certes un peu menaçant, mais il laisse le choix d’opter pour le comportement que l’on veut. Les gens ont plus peur de perdre ce qu’ils ont déjà, qu’ils n’ont envie de gagner ce qu’ils n’ont pas.
5. L’ancrage
De petits détails, apparemment insignifiants, peuvent avoir un impact énorme sur le comportement des gens. Faisons une expérience : prenez les 3 derniers chiffres de votre numéro de téléphone, et ajoutez-y 200. Une fois que c'est fait, répondez à cette question : quand Attila a-t-il pillé l’Europe à la tête des Huns ? Avant ou après le chiffre que vous avez en tête ?
Surlignez pour voir apparaître la bonne réponse : 411
Ceux dont le chiffre de base était élevé se trompent plus, parce qu’inconsciemment ils partent de l’ancrage qu’ils ont en tête pour deviner un chiffre qui n’a absolument rien à voir.
C’est donc très utile en négociation : partir d’une proposition très élevée (c’est à dire proposer un ancrage haut) permet d’obtenir au final un chiffre plus haut. Votre adversaire est déjà content de vous voir faire une concession. Un exemple : les sites de donations récupèrent de plus grands dons s’ils proposent 100, 250, 500 ou 1000€ que 50, 100, 250 et 700€ (dans la limite du raisonnable). Le choix de la personne est induit par les propositions qu’on lui fait.
6. La convergence de l’opinion publique
La tendance humaine veut que quand quelqu’un exprime son opinion clairement, les personnes qui l’accompagnent ont tendance à modifier leur propre opinion pour s'en rapprocher, même si elles ne la connaissent pas. Ce n’est pourtant évidemment pas une obligation, c’est juste un nudge qui influence l’opinion ou le jugement. Des expériences scientifiques sur la question sont arrivées à une conclusion intéressante : d’après eux, le communisme a pu perdurer si longtemps parce que les soviétiques, coupés du monde, n’avaient pas idée que des milliers de gens dans d’autres les pays voisins haïssaient le régime. Un petit coup de pouce, c’est-à-dire la révélation de l’opinion d’un groupe majoritaire jusqu’alors ignorée, aurait entraîné une réaction en chaîne et les gens ont revu petit à petit leur adhésion au régime. Le désir de conformité produit un nudge très persistant, qui peut générer un comportement à priori impensable.
7. Le retour d’information
Il permet d’assurer tout de suite la personne que ce qu’elle a accompli s’est bien déroulé ou non. Le déclic de l’appareil photo numérique, complètement artificiel, rassure car il informe que la photo a bien été prise. Lors d’un achat en ligne, l’acheteur est informé de la préparation et de l’envoi de son colis, plutôt que de rester sans information jusqu’à la réception du colis.
Un bon système d’architecture du choix permet de fournir des repères aux utilisateurs, pour les aider à prendre des décisions et leur permettre de repérer la plus bénéfique.
Netflix est l’un des meilleurs exemples d’une bonne architecture du choix en ce qu'elle permet de passer au crible un nombre incalculable de films en fonction de filtres et des recommandations d’autres utilisateurs.
8. La demande d’intention
Cette technique, également fondée sur un travers du genre humain, peut tout à fait être utilisée dans le cadre familial quotidien. En effet, demander ses intentions à quelqu’un concernant une action est le meilleur moyen d’augmenter les chances qu’il le fasse. C’est vrai en contexte d’élections (sonder les gens pour savoir s’ils ont l’intention de voter augmenterait de 25% les votes), mais aussi dans des cas aux conséquences bien plus informelles. Laissez-moi vous donner un exemple de nudge qui colle avec les objectifs de R2COM, c’est-à-dire aider à la professionnalisation des étudiants de Rennes 2 : prenez votre emploi du temps. Cherchez un créneau d’une heure que vous aurez l’occasion de passer sur votre ordinateur. C’est bon ? Eh bien, ce créneau est parfait pour optimiser votre profil LinkedIn et en profiter pour élargir votre réseau, non ? Vous devriez vraiment penser à optimiser votre profil LinkedIn, c’est indispensable pour un communicant. Rien ne vous empêche de le faire dans les jours qui viennent à priori... pourquoi pas pendant ce créneau que vous venez de définir !
9. La saillance
Un autre concept permet de comprendre le fonctionnement des comportements humains : la saillance. Il signifie que certains coûts restent plus vivement en mémoire que d’autres. Par exemple, une famille qui veut acheter une voiture va considérer ce que ça coûte à l’année (les frais de carburant et éventuelles factures du garage) et ne prendra pas en considération le prix de la voiture, considéré comme un investissement. Alors que, s’ils sont contraints aux transports en commun et au taxi, chaque ticket ou course dépensé s’affichera clairement sur leurs comptes mensuels ; ils sont donc considérés comme “saillants”. Ils pèsent plus dans le ressenti de la famille. En rendant certaines informations saillantes, on peut influencer la conduite des gens : par exemple en affichant le coût des appels à l’étranger sur le téléphone à chaque minute de communication, en programmant les radiateurs pour qu’ils affichent le coût supplémentaire pour quelques degrés de plus : c’est incitatif, ça rend certaines dépenses saillantes en influençant la façon dont on perçoit ces dépenses. La stratégie du gouvernement est souvent d’augmenter le prix de l’électricité ou du tabac, alors qu'un nudge, comme afficher les prix prévus pour quelques degrés de plus aura, plus d’impact sur notre comportement.
10. Le choix obligatoire
Obliger les gens à faire un choix permet de s’assurer qu’ils s’intéressent à une question qui vous intéresse. Terminons cette liste de méthodes par un dernier exemple.
L’association R2COM pourrait vous dire : si vous souhaitez participer à nos semaines d’ateliers, merci de venir nous voir pour remplir un formulaire. Le choix est ouvert, le public peut faire l’action, ou pas.
Forte de ces nouvelles connaissances sur le nudge, R2COM vous demandera plutôt lequel de ces trois thèmes d’ateliers vous intéresse le plus, et auquel vous envisageriez de vous rendre :
Les réseaux sociaux utilisés par les entreprises (un atelier sur Facebook, un sur Twitter etc.)
Faire de la création sans la suite Adobe
La professionnalisation pour les Nuls (un atelier sur le CV, un entretien d’embauche fictif, un atelier profil LinkedIn…)
De cette manière, nous vous incitons à vous intéresser aux thèmes que nous prévoyons de manière à faciliter votre choix. Scientifiquement, nous sommes sûrs d’augmenter le taux d’engagement dans ce choix, c’est-à-dire le nombre de personnes qui envisagent de bénéficier d’une formation lors de nos ateliers, de 25%.
Le but reste que ceux qui préfèrent ignorer la méthode douce ne subissent que des frais réduits, voir nuls. Par exemple, dans le fait qu’on soit tous donneurs consentants présumés, la démarche pour s’en défaire doit être très simple, sinon, c’est moins libertaire.
Le « paternalisme libertaire » est, selon les scientifiques du choix, la meilleure concession entre la totale liberté d’action et une intervention trop grande de l’Etat. C’est la croyance en la totale liberté de choisir, et de revenir sur son choix. Cela induit également qu’il est légitime d’influencer le comportement des gens afin de les aider à vivre mieux. Le framing ne doit avoir aucun caractère contraignant.
Alors, validez-vous ces petites attentions des marketeurs, ces manières de vous inciter à adopter un comportement qui rend le monde meilleur ?
Pour aller plus loin, nous vous recommandons de consulter les ouvrages et articles suivants :
R. H. THALER, C. R. SUNSTEIN, Nudge ; La méthode douce pour inspirer la bonne décision, Pocket Evolution, Paris, 2012